L’image de la vampire est la plus persistante des représentations de lesbiennes dans l’histoire du cinéma après le porno. Ce constat d’Andrea Weiss, auteure de Vampires & Violets: Lesbians in films, explique que la plupart des études sur les lesbiennes au cinéma n’aient jamais fait l’impasse sur ces pernicieuses femelles à dents pointues. Mais ces ouvrages ou articles, le plus souvent américains, ne restent accessibles qu’aux lecteurs.trices anglophones amateurs.trices de prose universitaire. En France, les analyses de ces personnages abordent rarement ou succinctement les problématiques de la représentation homosexuelle et de genre qu’elles impliquent. Le 7e genre pose ici un regard queer et féministe sur Carmilla, la fille de Dracula, la comtesse Bathory et autres goules du 7e art qu’elles traversent depuis plus d’un siècle, entre misogynie décomplexée et affranchissement féministe, lesbophobie latente et ambiguïté audacieuse.

Vamp(ire) : l’Autre féminin

Au cinéma, le premier vampire est une femme. Quelques courts-métrages adaptent dès 1910 le poème The Vampire de Rudyard Kipling, publié en 1897, lui-même inspiré d’un tableau du même nom de Philip Burne-Jones, exposé la même année à Londres. Il représente une femme maléfique penchée sur un homme exsangue, totalement dominé. A Fool there was (Embrasse-moi, idiot en VF), réalisé par Frank Powell en 1915, reste la plus célèbre de ces adaptations. Si le film a aujourd’hui disparu, on lui doit l’invention de l’archétype de la « vamp » : une vampire dépouillée de son caractère surnaturel. Elle est alors interprétée par la ténébreuse Theda Bara, premier sex-symbol d’une longue lignée de « femmes fatales ». Tentatrice et manipulatrice, métaphore d’un désir sexuel féminin libre et indépendant, la vamp use de ses charmes pour séduire et exploiter le héros afin d’arriver à ses fins, souvent jusqu’à la mort.

fille-de-draculaFatale donc, elle est une beauté dangereuse, incarnation de l’Autre fascinant et inquiétant, le plus souvent étrangère, comme le seront les vampires lesbiennes. En 1936, La Fille de Dracula est la comtesse Marya Zaleska venue de Transylvanie. Carmilla, vampire du roman éponyme de Sheridan Le Fanu adapté à plusieurs reprises, descend de la noble famille Karnstein, de Styrie ou de Tchécoslovaquie ; elle sera incarnée par la danoise Annette Stroyberg dans le film français Et Mourir de plaisir de Roger Vadim en 1960, puis par la polonaise Ingrid Pitt dans l’anglais The Vampire Lovers de Roy Ward Baker onze plus tard. Leurs accents ajoutent à l’étrangeté de leurs personnages, de même que le phrasé si particulier de Delphine Seyrig dans le rôle de la comtesse hongroise Elisabeth Bathory dans le belge Les lèvres rouges de 1971, ou que l’accent français de Miriam Blaylock en vampire égyptienne âgée de 3000 ans, jouée par Catherine Deneuve dans l’américain Les Prédateurs de Tony Scott (The Hunger, 1983).

Le trouble avant le retour à la norme

Homme ou femme, le vampire est traditionnellement un produit de la culture populaire personnifiant les fantasmes et/ou angoisses d’une époque et d’une société, qu’elles soient juives, communistes, ou homosexuelles. En cette période de première vague féministe (1870 à 1930), la vamp est déjà l’expression d’une peur de la déstabilisation de la domination masculine et de la sacro-sainte norme hétéro, sous l’effet d’une émancipation féminine tant économique et sociale que sexuelle. L’aura érotique de la femme fatale est tel qu’il déborde rapidement les limites binaires de l’hétéronorme et du genre, empruntant au vestiaire masculin, embrassant des jeunes femmes sous les yeux des messieurs (Marlene Dietrich ou Louise Brooks pour ne citer que les plus célèbres). Si la femme fatale peut manifester un penchant certain pour le deuxième sexe, elle est rarement 100% lesbienne (même encore en 1992 avec Sharon Stone dans Basic Instinct), et la vampire ne sera pas non plus au niveau 6 sur l’échelle de Kinsey. La fille de Dracula ou la prédatrice Deneuve posent aussi leur bouche dans le cou des hommes. Carmilla, pourtant focalisée sur la gente féminine chez Sheridan le Fanu, sera détournée vers des personnages masculins dans les adaptations de Vadim et Baker.

Ce poncif de la tentation bisexuelle se retrouve dans la majorité des films abordant l’homosexualité des femmes, au-delà de son incarnation vampirique, surtout s’ils sont réalisés par des hommes hétéros. Il peut être perçu comme une façon de nier l’identité lesbienne et de la retourner en fantasme masculin innocent et passager. La bisexualité dissémine suffisamment de trouble pour perturber la binarité des désirs et fragiliser les normes sexuelles. De là à passer pleinement de l’autre côté du miroir, il ne faudrait pas exagérer…

Il faut bien se rendre à l’évidence : la plupart de ces films de vampires « lesbiennes », réalisés par messieurs Roger Vadim, Roy Ward Baker, Tony Scott, Lambert Hillyer, Jean Rollin ou Jess Franco sont avant tout des productions à destination d’un regard masculin (que Laura Mulvey a appelé le male gaze) avide de frissons érotiques. Leurs films ne sont pas vraiment pourvoyeurs de modèles auxquels s’identifier tant la lesbienne vampire y est généralement seule, égoïste et perverse, dont le seul dessein serait d’imiter en vain une sexualité masculine. Aussi, les lectures féministes considèrent généralement ces films comme misogynes et lesbophobes, rongés par une angoisse de voir la suprématie du masculin hétéro fragilisée, angoisse que la destruction finale de la protagoniste maléfique vient apaiser. C’est vrai. Les choses ne sont pourtant pas si simples. Certes, la vampire lesbienne est un énième personnage homo qui doit mourir à la fin pour que la morale patriarcale soit sauve.

Mais elle rejoint la clique de toutes ces créatures déviantes à abattre, qu’elles se nomment Carmilla, Dracula ou Mister Hyde, qu’elles soient des vampires, des zombies ou le monstre de Frankenstein, qu’elles aient ou non des penchants homosexuels. Tout ce qui précède cette fin convenue devient donc un territoire d’exploration offrant à ses personnages la possibilité de faire des choses interdites : tuer, vampiriser, exhiber sa nudité, se frotter contre un ami.e du même sexe et lui croquer le cou, voire même l’embrasser à pleine bouche ! Parce que la morale sera de toute façon finalement sauvée par la mise à mort de la vampire lesbienne, les spectateurs.trices peuvent se délecter pendant plus d’une heure de regards, gestes, baisers et désirs que le cinéma classique n’a longtemps pu se permettre d’aborder si frontalement en raison de la censure interdisant purement et simplement les représentations d’une homosexualité de toute façon illégale. De plus, le public a très vite compris, au vu des nombreuses adaptations qu’ont connu les Carmilla et Dracula, que ces personnages ne cessent de revenir hanter l’imaginaire, immortels, jamais vraiment vaincus par leur suppression orchestrée par les agents de la Morale. Et donc, au fond, toujours plus forts qu’eux.

Des années 1930 à 60 : maladie et malédiction

Toutefois, le cinéma (mainstream classique en particulier) reste un incroyable outil de propagande hétérosexuelle, et les films mettant en scène les penchants saphiques des vampires orchestrent pleinement l’annihilation de toute homosexualité, selon plusieurs manières : invisibiliser la lesbienne, la faire passer pour folle/malade/criminelle/violeuse, la tuer, la fétichiser (plusieurs réponses possibles).

Ceux qui n’ont pas lu le roman ignorent à quel point le réalisateur suédois Carl T. Dreyer, dans son célèbre Vampyr (1932) désormais acclamé par les cinéphiles, en a effacé toute la dimension saphique pour transformer Carmilla en vieille femme diabolique venue sucer le sang vital de la jeunesse. Les écarts entre un roman lesbien comme Carmilla et ses versions cinématographiques sont souvent révélateurs d’un principe de minimisation voire d’effacement du désir homosexuel qui tend à invisibiliser le lesbianisme pourtant évident de Carmilla1. Pendant longtemps, le mot «homosexuelle » n’est d’ailleurs jamais prononcé dans le cinéma hollywoodien, ni celui de « lesbienne » pourtant en usage depuis la fin du XIXe siècle. Ces termes si tabous s’effacèrent derrière celui de « vampire », prude condensateur de phobies et fantasmes.

La vampire lesbienne est nécessairement criminelle : mue par une soif de sang, elle tue sans pitié des jeunes filles, voire des messieurs (jamais des vieilles dames, pas assez sexy). Mais elle est aussi une malade que même la science ne peut soigner. Aux USA, en 1936, La Fille de Dracula fait appel à un psychiatre pour l’aider à conjurer sa malédiction qu’il faut entendre à double sens, vampirique et homosexuelle (ou du moins bisexuelle). En 1960, le médecin ne peut sauver du suicide la jeune Carmilla d’Et mourir de plaisir (Roger Vadim, France). Il trouve toutefois le temps de diagnostiquer un dédoublement de personnalité. Trente-quatre ans séparent ces deux films, le premier bridé par le Code Hays, le second dans la modernité émergente du cinéma français, visiblement peu intéressée par les questions de l’homosexualité, à l’exception notable des Biches de Claude Chabrol (1968). Pourtant, et malgré un trouble queer indéniablement risqué, chacun assimile les penchants lesbiens à une maladie incurable.

Les années 1970 : érotisme au temps du féminisme

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Dix ans après l’adaptation de Carmilla par Vadim, la Hammer s’en empare pour une trilogie à succès. Cette prolifique société de production anglaise de films d’exploitation (fantastique, horreur, aventures) connut son âge d’or entre 1955 et 1970. The Vampire Lovers, premier volet des (més)aventures de Carmilla en 1971, inaugure un fétichisme du corps de la vampire, dénudée et démembrée par le cadrage pour le plaisir des yeux (masculins principalement). Elle n’est plus malade mais transformée en objet érotique dont le morcellement la rend moins dangereuse. Suivront Lust for a vampire (Jimmy Sangster, 1971) et Twins of Evil (John Hough, 1971).

En France et en Espagne, le cinéma bis s’entiche aussi de la vampire saphique. L’Espagne s’est alors déjà engouffrée dans le créneau du vampirisme lesbien : Camillo Mastocinque adaptait Carmilla dans La Crypte du vampire en 1964, et Vicente Aranda dans La Mariée sanglante (1972) en propose une adaptation moins bêtement érotico-sanguinolente pour une orientation plus politique avec une touche de lutte contre l’oppression masculine. L’espagnol Jesus Franco, stakhanoviste du nanar et grand amateur de zooms, a fait du désir lesbien l’un de ses sujets de prédilection, sans se limiter aux vampires. Films de prisons, de couvent, d’aventures, fantastiques, policiers ou porno soft accueillent son saphisme SM tout au long des années 1960 et surtout 1970. Son œuvre la plus réussie (ou la moins ratée) reste le cultissime Vampyros Lesbos, interprétée par sa muse Soledad Miranda qui joue la comtesse Carody attirant sur une île une jeune femme pour la séduire et la vampiriser. Quand sa Comtesse Noire (1973) sera bisexuelle, Carody est 100% lesbienne. Sans surprise, et malgré quelques délires camp, le film finit par épouser le point du vue de la psychiatrie et du patriarcat.

Côté français, le tout aussi prolifique Jean Rollin, auteur dénigré de la critique et maître ès goules et plages du Nord, débute sa prolifique carrière avec Le Viol du Vampire, sorti en plein Mai 68. Alors que le public s’attendait à de la Hammer à la française, le film, surréaliste et expérimental, déroute le public. De La Vampire nue (1969) à La Fiancée de Dracula (2002), Rollin continuera son exploration de l’érotisme vampirique, malgré les échecs.

En faisant des femmes et des lesbiennes de purs objets érotiques du male gaze, ces films semblent ignorer parfaitement les agitations de leur époque, celles de la deuxième vague féministe et de la révolution (homo)sexuelle qui agitent le monde occidental depuis la fin des années 1960. A moins qu’ils n’en aient peur ou souhaitent en minimiser voire ignorer les revendications. Pendant que Franco zoome sur les pubis et que Rollin filme Brigitte Lahaie sous tous les angles, Harry Kümel en Belgique fait une proposition totalement inédite car féministe : dans Les Lèvres rouges (1971), la victoire finale n’est pas masculine et si la mort de rigueur de la lesbienne vampire est respectée, ce n’est que pour mieux affirmer l’homosexualité de ces protagonistes féminines et l’imposture de l’hétéronorme ! Les Lèvres rouges fait alors figure d’ovni cinématographique. Sa sanguinaire comtesse Bathory résiste à la plupart des stéréotypes : camp et glamour fantaisiste remplacent la maladie mentale et la fétichisation de rigueur. Il faut dire qu’elle est interprétée par Delphine Seyrig, figure majeure du féminisme en France, qui n’est pas du genre à se laisser remettre en place par l’ordre masculin sans rien dire.

Influencée par le succès de ce film, Stephanie Rothman a donné une orientation féministe à son film The Velvet Vampire en 1971, seul film de vampire lesbienne réalisé par une femme (mais que nous n’avons pas vu… les films lesbiens de femmes seraient-ils plus difficilement visibles en France ?2).

Les années 80/90 : branchitude saphique & vampires postmodernes

S’ensuit une période plus creuse pour la vampire lesbienne, peut-être due au déclin de la Hammer et à la consécration du cinéma moderne, moins porté vers le genre fantastique. Mais en flirtant avec le cinéma d’auteur, le film de Kümel pourrait bien avoir sorti ce personnage de la série B. Il ressort du placard en 1983 avec le saphisme chic et new wave des Prédateurs. Trois ans avant le crypto-gay Top Gun, ce premier long-métrage de Tony Scott revitalise un genre à bout de souffle depuis que le cinéma d’exploitation l’a sucé jusqu’à la moelle. « Bela Lugosi’s dead » chante Bauhaus au début du film ; Scott va le faire renaître de ses cendres autour de trois figures queer : Catherine Deneuve, future icône gay outre-Atlantique, David Bowie, seigneur pop de l’ambivalence sexuelle, Susan Sarandon, repérée dans The Rocky Horror Picture Show, comédie musicale transgenre cultissime. Trois stars à Hollywood (le film est produit par la MGM), une esthétique clip très tendance, une romance mélancolique et dark, et la vampire lesbienne prend une toute autre dimension. Si le film n’échappe pas aux clichés érotiques lors de la scène de sexe entre Deneuve et Sarandon, sommet de kitscherie fantasmée (pas désagréable par ailleurs), la lesbienne n’est plus une psychopathe névrosée, mais une femme qui assume pleinement ses désirs. Il faut dire que le cinéma des années 1980 américain s’est ouvert à des personnages de femmes plus fortes, working girls autonomes ou lesbiennes décomplexées (Lianna, Desert Hearts). Chez Scott, Deneuve délaisse Bowie pour Sarandon qui délaisse son mari pour les femmes. Le film s’achève significativement sur une réplique de la scène de sexe centrale et initiatique ; cette fois elle a lieu entre Sarandon et une jeune inconnue et est délestée de toute dimension vampirique, avant que Sarandon ne sorte sur son balcon et surplombe la ville : ne reste qu’un désir homosexuel parfaitement assumé.

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Durant la décennie suivante, des lesbiennes vampires s’invitent dans la branchitude mélancolique post-moderne du cinéma indépendant américain. On retiendra dans le cinéma fauché des nineties deux films new yorkais : The Addiction (1995) d’Abel Ferrara, THE cinéaste indé, et Nadja (1994), réalisé par Michael Almereyda et produit par David Lynch et filmé avec une PixelVision (caméra jouet commercialisée par Fisher Price en 1987). Ces deux poèmes urbains ténébreux en noir et blanc, bercés par des sonorités à la mode (hip hop de Cypress Hill ou trip hop de Portishead) ont chacun une vampire féminine pour personnage principal, incarnée par une actrice tendance, Lily Taylor ou Elina Löwensohn. La figure moderne du flâneur urbain, généralement masculine (de Baudelaire à la Nouvelle Vague) devient féminine, comme si le vampirisme des personnages leur donnait le pouvoir de déambuler dans l’espace urbain avec plus d’assurance. Les deux films ont en commun de se défaire des codes du genre fantastique et, surtout, de « désérostiser » les scènes de sexe de vampirisme lesbien, rompant ainsi avec la suprématie du male gaze. A tel point que The Addiction n’est que lointainement lesbien : si Katy, contaminée par une femme, séduit une jeune femme dans une bibliothèque, son personnage est très désexualisée, portée vers d’autres considérations. Son vampirisme se fait métaphore d’une crise fin de siècle hétéroclite, entre phobie du Sida, addiction à la drogue, angoisse capitaliste et crise existentielle. Le vampirisme n’est plus l’autre nom de l’homosexualité.

Dans Nadja, sorte de remake arty de La Fille de Dracula, inédit en France, la vampire est tout aussi bie que Katy, mais séduit ouvertement une jeune femme très boyish, Lucy, dont elle se dit amoureuse. Leur scène de sexe, quoique prude, s’attaque de front à un thème fondamental du film vampirique : le sang. Si le vampire est traditionnellement associé à une considération morbide du sang, qui engendre la mort dans un sacrifice humain, le sang de Lucy que Nadja retrouve au bout de ses doigts glissés dans sa culotte est menstruel, donc associé à la reproduction et à la création de la vie. Lucy n’en finira pas moins à l’état de zombie anémique et Nadja tuée comme il se doit d’un bon pieu dans le cœur. Le film s’achève sur le mariage heureux d’Edgar, frère de Nadja et de Cassandre. Toutefois, l’apparente glorification finale de l’hétérosexualité est un leurre : Nadja a transféré son âme dans Cassandre avant de mourir ; le plan large éloigne les spectateurs.trices de cette joyeuse célébration hétéro un brin tordue par cette touche incestueuse et parasitée par la voix-off de Nadja, et le film s’achève sur la surimpression des deux visages féminins. C’est que Nadja est avant tout un film sur la famille dysfonctionnelle, le vide de l’existence, la perte de sens et une vaine recherche d’humanité à travers l’amour et la famille. Pas très funky les années 1990…

La vampire du XXIe siècle : la perversion du mythe

Le nouveau siècle affectionne toujours autant le personnage de la vampire, sans que les films ne bénéficient toujours d’une sortie en salles. Le genre atterrit directement en DVD pour les inconditionnels de séries B voire Z n’ayant guère l’ambition de révolutionner le cinéma. Le mythe devient prétexte à réaliser de purs produits commerciaux d’horreur et/ou de comédie. Carmilla continue sa route sanglante au Canada, dans Carmilla, The Lesbian Vampire (Vince d’Amato, 2004). Les jolies femmes vampirisées ne peuvent décidément pas s’empêcher de s’acoquiner avec des demoiselles sexy, comme dans Rise : Blood Hunter (Sebastian Gutierrez, 2007) produit par Sam Raimi. Lesbian Vampire Killers (Phil Claydon, 2012) assume d’emblée son côté potache à coups de parodie de légende, de morts grandiloquentes, d’ado loosers et de petites nanas canons. Deux teenagers partis pour un weekend de débauche dans la campagne anglaise découvrent un village où une mystérieuse malédiction transforme toutes les jeunes filles de 18 ans en vampires lesbiennes. Les voilà donc transformés en combattants de cette catastrophe qui ruine un peu leurs ambitions sexuelles. Le film a toutefois un petit mérite : à la fin (pour qui aura eu le courage de se taper les 1h20 précédentes), une fois le mal vampirique éradiqué, les jeunes filles restent lesbiennes : Lesbian Vampire Killers ôte ainsi toute sa dimension maléfique au lesbianisme (et vous n’avez plus besoin de regarder cette bouse).

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Elizabeth Bathory inspire à Julie Delpy un film plus réussi, au gothique élégant, La Comtesse (2010). Dennis Gansel, en Allemagne, s’empare de la vampire lesbienne dans Nous sommes la nuit (2010), pseudo film féministe dont la compréhension du féminisme semble tout droit tiré d’un article du magazine Elle et qui se révèle plutôt lesbopobe. On est loin, très loin des Lèvres Rouges… Une bande de vampires forment un cercle non mixte pour rester entre femmes et ne pas faire profiter les hommes, ces gros nases, des avantages de la vie éternelle girly : claquer tout son fric dans les fringues de luxe et les belles bagnoles, rester minces for ever, ne jamais tomber enceintes. Même le petit tomboy renfrogné de la bande succombe aux cheveux longs, aux sequins et au vison, pour (enfin) devenir une femme séduisante. Voilà, ce serait ça le féminisme du XXe siècle…. Si le film se veut une critique de la société de consommation, le lesbianisme de son héroïne Louise (interprétée par la pourtant excellente actrice Nina Hoss) est franchement malsain : la meneuse du groupe force ses petites camarades à l’aimer, comme si l’amour homosexuel ne pouvait être que pervers, à sens unique, triste. On a rarement vu une interprétation aussi glauque et pathétique de la vampire lesbienne !

Estelle Bayon

1 Ce principe ne se limite d’ailleurs pas aux personnages de vampires et parcourt le cinéma classique, de These Three (William Wyler, 1936) d’après la pièce de Lillian Hellman de 1934 aux Beignets de Tomates vertes (Jon Avnet, 1991) adapté du roman de Flannie Flag, en passant par La couleur pourpre (Steven Spielberg, 1985), d’après le roman d’Alice Walker écrit en 1982. Seul Wyler a l’excuse de la censure imposée par le code Hays, qui interdit la représentation de l’homosexualité dans le cinéma hollywoodien ; il proposera d’ailleurs en 1962, avec La Rumeur, une nouvelle version (pas très joyeuse) de la pièce de Hellman, en plein déclin du Code qui sera définitivement abandonnée quatre ans plus tard.
2 La réponse est oui.
POUR ALLER PLUS LOIN
Didier Roth-Bettoni, L’homosexualité au cinéma, La Musardine, Paris, 2007
Andrea Weiss, Vampires & Violets: Lesbians in films, Penguin, USA, 1993
Bonnie Zimmerman, “Daughters of Darkness”, dans Jump Cut, n°. 24-25, Mars 1981
Crédits images:
Les Prédateurs, Tony Scott (1983) © MGM
La Fille de Dracula, Lambert Hillyer (1936) © Universal Pictures
The Vampire Lovers, Roy Ward Baker, (1971) © Hammer Films
Nadja, Michael Almereyda (1994) © Kino Link Company
Nous sommes la nuit, Dennis Gansel (2010) © Celluloid Dreams / Constantin Film Produktion / Rat Pack Filmproduktion