Critique de cinéma, scénariste et réalisateur
Journaliste et critique de cinéma, Alain Riou a écrit notamment pour Combat, Le Matin de Paris et Le Nouvel Observateur, et participé régulièrement à des émissions radio et télévisées (Rive droite, Rive Gauche sur Paris Première, Le Cercle sur Canal +, Le Masque et la Plume sur France inter). Parmi ses activités de scénariste et dialoguiste, on peut citer Le Léopard (1984) de Jean-Claude Sussfeld, avec Claude Brasseur et Dominique Lavanant, et Pétain (1993) de Jean Marboeuf, avec Jacques Dufilho et Jean Yanne. Il a également travaillé pour le théâtre (notamment Hitch, avec Stéphane Boulan, autour des célèbres entretiens Hitchcock/Truffaut) et réalisé, avec Ronan Pollès deux long-métrages (Elle critique tout ! en 2004 avec Elisabeth Quin et Tous les hommes sont des romans en 2007. Alain Riou a également publié différents ouvrages, dont La Suite à l’écran, un recueil d’entretiens avec le scénariste Jean Aurenche (Institut Lumière/Acte sud) en 1993, Les Films cultes (Editions du Chêne) en 1998 et Instants critiques (Hémisphères éditions) en 2020.
Il était notre invité lors de la séance consacrée à Cabaret, ( décembre 2013).
Une sérieuse distraction
Je suis devenu cinéphile par distraction. Non pour me distraire, mais par pure étourderie, en confondant deux salles de cinéma. Il y a très très longtemps… Je ne connaissais alors que les films qu’on montrait aux pensionnaires, films édifiants, documentaires assommants, vies de saints, de militaires ou autres idioties, et je trouvais qu’aucun film ne pouvait présenter le dixième de l’intérêt du Père Goriot ou de la Chartreuse de Parme, grands romans qui figuraient aux programmes. Puis la Nouvelle vague arriva, et mes camarades se toquèrent (justement) des 400 cents coups, de A bout de souffle et pour commencer de Hiroshima mon amour, qui leur semblait si beau qu’à force de passer pour un plouc, je décidai l’aller le voir à mon tour. On entrait, à ce moment-là, au milieu des films dans les salles, et c’est ainsi que sur un écran de la rue Champollion je vis, avec une stupeur ravie, un homme faire des entrechats sous l’orage, et donner à sa danse une telle énergie, une telle joie de vivre qu’à son tour, aucun roman ne me paraissait capable de communiquer le dizième de l’euphorie qui m’avait saisi.
Bien entendu, distrait incorrigible, je m’étais trompé de salle. Mais Chantons sous la pluie m’avait donné le virus non seulement de la comédie musicale, mais du cinéma tout entier, heureuse erreur qui m’a même donné un métier. J’ai aussitôt entrepris de études de cinéma, réalisé quelque cours métrages, écrit beaucoup de comédies et surtout, engagé par des journaux au seul motif que j’écrivais vite, interviewé à peu près tous les artistes du cinéma, réalisateurs-trices, acteurs-trices qui ont été mes contemporains. Et c’est ainsi qu’Anne Delabre, amie d’une de mes filles m’a demandé de présenter au cinéclub le 7ème genre Cabaret qui, plus que tout autre film, confère une joie de vivre, même si elle est sombre, et un plaisir de résister supérieur, peut-être, à celui que communique le roman de Christopher Isherwood dont il est tiré. Le chant, la musique et la danse font passer, on le sait, beaucoup de choses, et la Comédie musicale, dans le cinéma ultra-familial et ultra censuré d’Hollywood a toujours constitué une parenthèse érotique et beaucoup moins innocente qu’elle le parait. Il faut replacer le film de Bob Fosse dans son contexte : en 1972, Rock Hudson était encore à douze années de son coming out, la notion d’homosexualité n’était même pas évoquée dans le (beau) film de Minnelli Thé et sympathie, et Macadam Cowboy avait failli être interdit à tous les publics. Mais la beauté de Cabaret n’est pas seule ment dans son côté transgressif. Elle est dans son pouvoir de résistance, je l’ai dit, et dans ce bonheur que donne, irrésistiblement, le maximum d’art donné à une œuvre ardente, simple, directe et, qui, en dépit des terribles nuages qu’elle annonce, glorifie la capacité humaine à produire du beau, qui seule, nous distingue des animaux féroces et des tyrans.Ce fut une belle soirée.
Alain Riou, juin 2020.